
Christian de Portzamparc, premier architecte français couronné par le Pritzker Prize en 1994, s’est toujours attaché à interroger la ville et ses formes. On lui doit des réalisations aussi emblématiques que la Cité de la Musique, la Paris La Défense Arena ou encore les flagships Dior de Séoul et Genève.
Bien avant ces grandes œuvres, au milieu des années 80, il rencontre Gilbert Costes, alors en quête d’un architecte visionnaire pour imaginer le Café Beaubourg. Le défi est de taille : réunir en un seul lieu un espace morcelé, réparti entre plusieurs immeubles, et en faire une adresse singulière, face au Centre Pompidou.
Ce projet marque le début d’une collaboration décisive. Portzamparc relève le pari en donnant au Café Beaubourg une identité forte, à la croisée de l’architecture et de la vie parisienne. Une aventure fondatrice que l’architecte racontera plus tard dans l’ouvrage Beaumarly Paris, publié aux Éditions Assouline en 2017.
"Je pense que j'ai rencontré Gilbert Costes en décembre 1985.
C'était chez Bernadette et Philippe Lebois, des amis d'Élizabeth, mon épouse. Gilbert m'explique alors qu'il vient d'acheter des boutiques à côté du Centre Georges-Pompidou, un tabac et une crémerie, entre autres. Il voudrait réunir les lieux et, plus tard, quand il les aura rentabilisés, il pense faire des travaux plus ambitieux. Il me demande si j'aurais une idée...
J'hésite alors à m'embarquer dans ce projet du Café Beaubourg. Je viens de remporter le très grand projet pour la Cité de la musique, j'ai un travail énorme devant moi.
C'est Élizabeth qui m'incite à le faire : « C'est une vraie rencontre avec le public !» Il est vrai que, pour la première fois, je pourrais faire un lieu qui existerait pour lui-même, contrairement à ces lieux où l'on se rend pour d'autres raisons (école de danse, musée...). Alors, dans la semaine, je dessine d'emblée l'ambitieux projet d'une salle traversant les trois immeubles, avec l'idée qu'il vaut mieux concevoir dès le début un grand lieu superbe. C'est un dessin simple, au trait. Le vendredi, je le montre à Gilbert. Dans mon idée, l'entrée et l'escalier qui donnent accès aux appartements de l'immeuble et coupent ainsi l'espace en deux, doivent être déplacés... C'est assez fou, mais Gilbert est enthousiaste, même s'il indique: « Ça change un peu tous mes plans...»
Le mardi suivant, il m'appelle et me dit que les banquiers sont d'accord pour le suivre sur ce projet. L'idée pour moi est de faire un lieu où l'on puisse se sentir bien lorsqu'on est seul, mais aussi quand il y a du monde, de créer des espaces où l'on peut voir ce qui se passe, et se montrer si l'on en a envie... Ce projet a été important pour moi car ce fut la première fois que le peintre a rejoint l'architecte.

Je commence donc à travailler avec une ambition certaine puisque les colonnes sont taillées en Espagne, et l'escalier en béton vert est réalisé d'une seule pièce, en fabriquant comme moules des coques en bois comme de bateaux, qui occupaient tout le sol. Nous retravaillons même chaque mur de ces immeubles anciens, très fragiles, ou rien n'est parallèle. Le projet prend du coup beaucoup plus de temps que prévu, dépassant toutes les prévisions. Il faudra de fait une année pleine pour donner naissance au café...
Pendant ce temps, Gilbert, inquiet, décide d'acheter avec son frère Jean-Louis et sa sœur Geneviève, le commerce faisant face au futur café, qui vendait des posters et des cartes postales. En effet, cet angle bénéficie du soleil et aurait pu accueillir un concurrent redoutable. La tension est grande mais, heureusement, dès l'ouverture, le monde vient en nombre. Même à l'étage, la mezzanine attire d'autres types de personnes, pour des rendez-vous plus intimes ou des réunions de travail. Il faut dire que le Café Beaubourg est à l'intersection de différents quartiers et est inauguré à un moment singulier, lors d'une certaine renaissance des Halles. On a du mal à imaginer aujourd'hui dans quel état cet endroit de Paris était dans les années 1970 : une vaste zone chaotique, telle une blessure en plein cœur de la ville... Le Café Beaubourg est arrivé à point nommé et s'est imposé.
C'est un projet qui reste aujourd'hui important pour moi de par le travail des matières et des couleurs, directement lié aux aquarelles que je faisais par ailleurs - une approche que l'on retrouvera dans mes travaux ultérieurs. Je me rappelle aussi le travail sur le mobilier, les chaises et les tables, par exemple quand j'ai créé une table beaucoup plus basse qu'à l'habitude et que Gilbert la trouvait quand même «un peu trop basse »...
Également tout le travail sur l'acoustique - un travail invisible mais qui a son importance : toutes les lignes creusées, ainsi que les trous dans les colonnes sont directement liés à de la laine de verre, permettant une forte atténuation du bruit. Le Café Beaubourg reste un lieu qui compte particulièrement pour moi.
Lorsque j'ai reçu le prix Pritzker, en 1994, Élizabeth m'y a emmené car c'était également mon anniversaire. Je m'attendais donc à y retrouver quelques bons amis... Mais elle avait réservé le Café Beaubourg tout entier et tout le monde était venu fêter le prix avec moi ! Un moment inoubliable et un lieu qui fait désormais parti de mon histoire pour toujours."